Zal, ainsi s’intitule le autre album de Lucas Debargue enregistre avec Gidon Kremer et sa Kremerata Baltica tout juste publie chez Sony. Un album dedie a Milosz Magin, pianiste et compositeur polonais ne en 1929 et mort en 1999, qui a vecu en France, et dont la musique a joue un role crucial dans le quotidien d’interprete ainsi que compositeur de Lucas Debargue.
« Cette dimension spirituelle m’interesse dans la musique : cela n’est pas dans la partition, cela n’est gui?re palpable »
Chacun de vos enregistrements est le fruit d’une demarche tres personnelle, tres originale. Celui-ci a quelque chose d’encore plus intime, puisqu’il renvoie a votre enfance et a ces debuts dans la musique.
Milosz Magin fut tres important des le commencement. Je l’ai decouvert grace a ma toute premiere professeure de piano a Compiegne, dont il avait ete le professeur. C’est d’ailleurs comme ca que j’ai decouvert Chopin, sous les doigts de Milosz Magin. Je n’avais gui?re idee qu’il existait des ecoles d’interpretation de Chopin avec une agreable maniere d’effectuer le rubato. Notre lecture de Magin reste tres spontanee, tres poetique et pleine de c?ur. Ca m’a absolument fascine. J’ai decouvert avec Magin une personnalite fort attachante qui m’accompagne avec tres un moment et je trouvais injuste de ne rien faire pour lui.
Vous avez choisi ce titre de Zal, votre commentaire intraduisible en francais, qui evoque une forme de tristesse, de nostalgie. Est-ce que la demarche reste aussi de l’ordre d’une nostalgie ?
La musique nous emmene dans un domaine interieur et c’est cette dimension spirituelle qui m’interesse dans la musique : et cela se marche dans l’ame, ce qui est invisible, cela n’est gui?re dans la partition, ce qui n’est pas palpable. J’essaie d’entendre resonner en moi la vibration spirituelle de l’?uvre, et evidemment la dimension nostalgique est toujours la, qu’importe le type, peu importe l’epoque a laquelle la musique fut ecrite. Il existe souvent beaucoup de annees 50 annees, ou 300 ans, qui separent le compositeur de l’interprete. Je chope qu’il y a deja quelque chose de nostalgique la-dedans, une forme de melancolie qui se degage des rencontres ayant lieu par la musique parce qu’elles n’ont jamais pu arriver en vrai.
Lucas Debargue et Gidon Kremer nous font decouvrir la musique du compositeur polonais Milosz Magin
Milosz Magin a enregistre son integrale de Chopin apres un grave accident de voiture
Milosz Magin exprime justement votre melancolie, a travers surtout ces petites pieces d’une grande simplicite tel « Nostalgie du pays » qui nous rappelle que votre compositeur ne en Pologne et a du la quitter en annees 60. Cela a du renoncer a une carriere de soliste, aussi qu’il est pourtant promis a une tres belle carriere internationale. Cela a du y renoncer apres un grave accident de voiture.
Oui, il a quand aussi eu une carriere en entamant une reeducation enorme, ce qui est assez prodigieux parce que son integrale Chopin fut enregistree apres le accident qui lui a brise les deux poignets et tranche la gorge. Neanmoins, votre accident a eu une vertu : c’est de le tourner davantage vers la composition en conciliant une modernite que l’on percoit dans la plupart harmonies, certains rythmes, avec un vrai classicisme assume. On n’est jamais perdu dans ses ?uvres, on identifie fort bien des themes, on sait ou l’on est. Il n’y a aucune volonte d’egarer l’auditeur ou de destructurer, de deconstruire. Je trouve ca d’autant plus remarquable qu’il a developpe son look au sein des annees 60/70. C’est une epoque ou les diktats en musique experimentale etaient tres puissants. Avec Magin, on entre dans un univers qui est affranchi de ces diktats. Diverses des pieces evoquent un certain minimalisme qui est devenu a la mode. Il a fait simplement votre qu’il aimait, ce qu’il a voulu et le resultat est la. On doit simplement ecrire Notre musique que l’on entend a l’interieur sans dire sans se fier a des esthetiques qui domineraient ou a des tendances qu’il faudrait suivre. Il va falloir faire confiance a son amour de la musique et le suivre.
C’est donc etre sincere finalement dans sa demarche ?
Oui, et il y a une certaine confusion il me semble entre la sincerite et le mauvais gout. Souvent Quelques musiciens associent la sincerite a la musique de Rachmaninov ou celle de Tchaikovski. Pour certaines individus, ces ?uvres ne sont jamais au aussi niveau que d’autres productions parce qu’elles seraient trop sinceres, dans le deballage emotionnel. Me concernant, on ne peut jamais etre assez sincere. Plusieurs le font avec une certaine pudeur, d’autres avec moins de pudeur. Finalement c’est la mission de l’interprete de restituer la part de pudeur qu’il y a dans une musique et la part de vehemence. Il y a quelque chose qui vient nous saisir, nous attraper a Notre gorge et est-ce que c’est vraiment Afin de autant du deballage ? Dans une certaine mesure ce paraissent des emotions musicales extremes, mais elles paraissent pour moi justifiees dans plusieurs cas. Je ne pourrais pas me passer de Tchaikovski et de Rachmaninov, je ne pourrais pas me passer de ce romantisme-la.
J’ai Symphonie pathetique de Tchaikovski : quand le desespoir produit un chef-d’oeuvre musical
A chaque fois que j’entends une symphonie de Tchaikovski, j’ai vraiment envie de pleurer et meme quand ca n’est pas tres bien joue ! Je trouve la musique tellement puissante cela qu’elle vise, elle l’atteint tellement beaucoup que c’est ca qui compte. Dans Divers cas, les emotions musicales extremes sont justifiees dans certains cas. Notre musique de Magin n’est jamais reussie parce qu’elle est tonale ou parce qu’elle fera preuve de modernite. Elle reste reussie parce qu’elle a achete ses bons revenus d’expression. Il a su Realiser confiance a son inspiration et ca m’apporte enormement de force dans mon propre parcours.
« Gidon Kremer n’est gui?re seulement un grand musicien mais 1 philosophe, un penseur, un grand artiste »
Votre album dedie a l’?uvre de Milosz Magin s’ouvre avec afrointroductions algorithme votre ensorcelant andante avec violon et piano que vous jouez avec Gidon Kremer, qui a des resonnances d’ailleurs tres debussystes et tres raveliennes en meme moment. On sent l’influence en musique francaise dans son langage.
Absolument, il disait lui-meme qu’il aimait beaucoup la musique francaise surtout celles de Ravel et Debussy pour des raisons plusieurs. J’imagine qu’il aimait chez Ravel son equilibre du grand raffinement harmonique conjugue a un classicisme de forme.